Une lettre ouverte aux hôteliers indépendants
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Il n’y a plus de secrets sur ce sujet : les hôtels indépendants européens ont une relation « je t’aime moi non plus » avec les OTAs : vous les aimez pour les chambres qu’ils remplissent, et les détestez pour la facture que vous recevez à la fin de chaque mois. Et nous ne mentionnons pas les contingents obligatoires, les disponibilités de vos dernières chambres, la parité des prix, le brand-jacking, et autres pratiques commerciales qui énervent.
Dans un monde idéal, chaque client viendrait réserver en direct votre hôtel. Il ferait sa recherche sur TripAdvisor, éviterait de façon délibérée de cliquer sur le bouton RESERVER MAINTENANT (très tentant), et à la place essayerait de chercher le site web de votre hôtel parmi d’autres extrêmement similaires (il y a combien d’hôtels Bristols ?). Il chasserait inlassablement votre lien pour réserver (En haut ? En bas ? Dans un petit formulaire coulissant ? Non coulissant ?), il ferait par lui-même le tri parmi les 12 types de chambres non-standard (Humm… c’est quoi cette chambre Campanule des Indes ? C’est quoi un Queen Bed ? ), et enfin, il renseignerait ses coordonnées personnelles et de paiement, une nouvelle fois, pour au final payer… le même prix que sur Booking.com.
Si je suis le client, ce bouton, que dis-je, ce clic « RESERVER MAINTENANT » me semble plutôt sexy maintenant !
Les voyageurs aiment les OTAs
Ce que les hôteliers oublient parfois c’est que les voyageurs aiment les OTAs. Ils ne sont pas si mal que ça : le client dispose d’un large choix d’hôtels, des outils pratiques pour les comparer et les situer sur une carte, et la commodité d’avoir ses données personnelles stockées pour des futures réservations. Les OTAs sont d’une grande valeur aux yeux des clients. La question que les hôteliers devraient se poser n’est pas comment se débarrasser des OTAs, mais comment offrir aux clients la même valeur qu’un OTA, mais à des conditions beaucoup plus raisonnables pour les hôteliers.
Mon hôtel est toujours plein grâce à Booking.com - mais j’aimerais bien recevoir plus de réservations en direct sans commission.
Hôtelier indépendant, 11/09/2015 10h52
Alors qu’est ce qui est raisonnable ? Bon, la première chose que les hôteliers aimeraient c’est une commission moins élevée. Pourquoi les OTAs demandent 15, 20 ou 25% de commission ? En partie parce qu’ils peuvent se le permettre, mais principalement pour euh… le marketing. Ils dépensent des tonnes en marketing. Pas spécialement pour promouvoir votre hôtel (parce qu’ils se soucient peu si le client réserve votre hôtel, à partir du moment où il réserve un hôtel), mais ils attirent une masse énorme de clients, dont certains d’entre eux finiront inévitablement par se retrouver… dans votre hôtel. Donc les commissions que vous payez sont vos couts marketing ; La question est : à partir de combien on considère que c’est trop de commission ?
Promouvoir un hôtel a un coût
Il y a un cout pour promouvoir un hôtel, et il y en a toujours eu un. Les hôtels ont toujours payé des commissions à des agences de voyages, offert des fortes réductions aux entreprises, payé des cotisations annuelles à des associations de marketing ou franchises, payé des stands sur des salons du tourisme, etc. etc. Même si tout le monde aimerait payer 0% de commission, c’est irréaliste, et les hôteliers acceptent le principe de payer pour attirer des nouveaux clients.
Les hôteliers (pour la plupart) ne sont pas choqués de payer 10% de commission, mais une fois que celles-ci dépassent les 12-15%… ça commence à piquer. Et cela pique encore plus de devoir la payer à chaque fois que ce même client satisfait revient dans votre hôtel : l’OTA facilite la transaction (ce qui représente une certaine valeur) mais ce n’est pas leur marketing qui ramène ce client à vous, c’est la qualité de votre hôtel et de votre service qui en est responsable !
Assez effrayant en fait, car pour une petite entreprise, il est difficile de trouver 15% supplémentaires.
Hôtelier indépendant, 15/09/2015 14h08
Cela fait particulièrement mal quand vous avez investi dans votre propre marketing en ligne, et que vos clients choisissent de réserver sur un OTA simplement parce que c’est plus facile, ou encore pire, parce que l’OTA a acheté les Adwords au nom de votre hôtel. Il s’agit d’un client qui essaye de vous trouver en cherchant votre nom sur Google : lorsqu’un OTA intercepte un client de cette manière et ensuite facture une lourde commission à l’hôtel pour « avoir amené un nouveau client », c’est du vol pur et simple, il n’y a pas d’autre mot.
De quoi ont besoin les hôteliers ?
Les hôteliers ont besoin d’un OTA qui leur apporte de nouveaux clients (à un coût raisonnable), qui ne facture rien quand les clients satisfaits reviennent dans l’hôtel (à part, pourquoi pas, une faible commission transactionnelle), et ne détourne pas les clients qui cherchent à réserver en direct. Est-ce que c’est possible ? Combien cela coute de faire fonctionner un OTA par ailleurs ? Pour commencer, certains pourraient penser que les coûts de l’infrastructure informatique des OTAs sont énormes. Est-ce même possible de voir un OTA fonctionner avec des commissions inférieures à 15-20% ? Investiguons un petit peu, si vous le voulez bien…
Ce qui est bien avec les grosses agences en ligne, c’est qu’elles sont des sociétés cotées en bourse, donc nous pouvons prendre le temps de regarder leurs rapports financiers. Regardons Booking.com (en fait plutôt le groupe Priceline, mais Booking.com en représente la plus grande part) et ce qu’il a dépensé l’année dernière (2015).
Données : Priceline Group (2015)
La première chose que vous pouvez noter c’est que faire tourner un OTA, c’est plutôt rentable : 41% de marge brute ! Un autre point de détail intéressant est que le cout lié à l’IT est presque insignifiant, représentant à peine plus de 1% du chiffre d’affaire (précisément 2,2% des coûts totaux). Enfin, le plus important réside dans le fait que 1/3 du chiffre d’affaire se retrouve dans la publicité en ligne, principalement sous forme de Google Adwords. C’est 2,8 milliards de $, un peu plus de la moitié de la totalité du budget opérationnel (55%, pour être précis) !
Clairement, si les hôteliers veulent un OTA plus abordable, ce n’est pas les coûts informatiques qui importent : ils doivent trouver un moyen de réduire les coûts d’acquisition clients.
La collaboration de masse est-elle la réponse ?
Les chaînes hôtelières les plus importantes ont déjà réalisé que pour gagner la bataille de l’acquisition en ligne des clients, c’est la taille qui compte. Prenez l’exemple de la fusion Marriott/Starwood : créer un groupe plus grand signifie une plus grande clientèle, un programme de fidélité plus fort, plus de réservations en direct, moins de dépendance envers les OTAs, plus de pouvoir de négociations et donc des coûts de distribution à la baisse ! Ce n’est pas le cas pour les petites chaînes de région ni pour les hôtels indépendants. Kalibri Labs a noté que les hôtels indépendants et ces petites chaines dépensent jusqu’à 5 fois plus pour leur distribution en ligne (par rapport à leur chiffre d’affaires) que les grandes chaines.
Source : Phocuswright via Tnooz
Les petites chaînes et hôtels indépendants n’ont pas la puissance des méga-chaînes. Ils ont chacun une base de clients existante, qui pour la plupart d’entre eux, du fait qu’ils soient de passage par nature, ne reviendront presque jamais dans leur hôtel. C’est pourquoi ils comptent sur les OTAs pour leur apporter une nouvelle clientèle.
Cependant, collectivement, les hôtels indépendants possèdent une clientèle énorme : il n’y a aujourd’hui malheureusement pas moyen d’en tirer parti efficacement ! La solution serait une sorte de CRM collectif, je dirais même collaboratif, qui donnerait ainsi la possibilité aux hôtels indépendants d’accéder à une base clientèle d’une taille critique, et la commodité pour les clients de réserver facilement et simplement n’importe quel hôtel.
La solution doit être globale
Bien sûr, nous avons vu émerger plusieurs plateformes dîtes « amies » des hôteliers, souvent créées par des associations locales d’hôteliers mécontents. Ces plateformes sont intrinsèquement régionales par nature, et de ce fait ne permettent pas de rivaliser avec la couverture mondiale des OTA les plus importants. Un jour ou l’autre, les clients devront voyager au-delà de cette région, et alors vers qui se retourneront-ils ? Un gros OTA pardi ! Et bonne chance pour qu’il revienne chez vous !
Les initiatives régionales ont également le désavantage d’être une alliance contre nature entre hôtels qui sont, fondamentalement, des concurrents. Chacun un tant soit peu engagé dans une association locale d’hôteliers sait comment il peut être difficile de faire bouger les choses, parce qu’au final chacun essaye de défendre sa propre affaire (ce qui est compréhensible), et ne veut pas risquer voir un hôtel de l’autre côté de sa rue jouir de certains avantages.
Cependant un hôtelier à Londres, vous me l’accorderez, n’est nullement en compétition avec un boutique-hôtel de Rome. Si le client est à Rome, c’est qu’il ne voulait pas être à Londres, donc dans ce cas, partager sa clientèle n’est pas un jeu à somme nulle. Ce qu’a gagné l’hôtelier de Rome n’est pas ce qu’a perdu l’hôtelier de Londres.
Et en fait, l’hôtelier romain payerait volontiers une modeste commission à son confrère londonien, au lieu d’en payer une grosse à un OTA. Un hôtel reçoit ainsi un nouveau client à un coût d’acquisition modeste, et l’autre gagne une petite commission sur ce client, donnant ainsi plus de valeur à sa base clientèle.
Qui paye pour le marketing ?
Comment marketer un modèle OTA collectif tel que celui-là ? Clairement, un peu de marketing est nécessaire, mais pas celui à l’extrême pratiqué par les mastodontes. Créer un large réseau d’hôtels permet de toucher un vaste potentiel de clients : chaque hôtel peut enregistrer ses clients avec la plateforme et les informer au cours de leur séjour, ou par email, de l’existence d’alternatives aux OTAs dits classiques.
Les hôtels font déjà cela pour promouvoir leur site web, leur réservation en direct, mais le timing n’est pas des plus idéal, car le client est déjà à l’hôtel, et pourrait ne pas revenir de sitôt (s’il revient un jour !). Par contre, il y a une plus grande chance que ce client voyage ailleurs, dans un futur proche, et c’est une opportunité pour l’hôtel de gagner un revenu supplémentaire sur les futurs voyages de ses clients.
Comme nous sommes un petit hôtel, on se bat constamment contre les OTAs et en même temps on ne peut pas s’en passer.
Hôtelier indépendant, 2015-09-18 09h11
Les clients sont généralement réceptifs aux remarques faites par les hôteliers de ne pas réserver sur les OTAs, à partir du moment où ça ne leur coute pas plus d’effort. Et que ça ne leur coute pas plus tout court. Et dans l’hypothèse où ils arrivent à trouver le site web de l’hôtel. Ou qu’ils se souviennent du nom de l’hôtel (ça m’est arrivé). Les clients veulent un OTA qui leur rende la réservation d’hôtel facile. Grâce à une solution collective, les hôtels donnent aux clients ce qu’ils veulent, mais selon leurs conditions.
La mort des gros OTAs ?
Soyons clair : l’objectif n’est pas de remplacer les OTAs. Le modèle classique des OTA fonctionne (et très bien, merci) mais la question est : est-ce le seul modèle possible ? Accor a brisé un tabou en ouvrant son site AccorHotels aux hôtels indépendants non affiliés, augmentant ainsi leur offre et permettant à chacun de découvrir les hôtels de l’autre.
De plus, Airbnb a montré qu’il était possible de tirer parti de modèles collectifs pour se créer un inventaire sans dépenser une fortune : la clé c’est le partage de revenu avec toutes les parties impliquées. Airbnb est un cas intéressant, car les consommateurs peuvent être aussi les fournisseurs, et vice versa : beaucoup d’hébergeurs Airbnb ont commencé en étant hébergés. Nous pouvons appliquer le même modèle aux hôtels : comme fournisseur de clientèle l’hôtel gagne un revenu supplémentaire, et comme consommateur l’hôtel bénéficie de la clientèle des autres à un coût très raisonnable.
L’économie du partage donne quelques insomnies aux hôteliers. Hôteliers : il est temps maintenant de tourner l’économie du partage en avantage !
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Si vous m’avez lu jusqu’ici, c’est que vous adhérez sans réserve, ou bien que vous trouvez cela totalement ridicule, et prévoyez de mettre le feu dans les commentaires. Dans tous les cas, laissez vos commentaires ci-dessous ! L’industrie hôtelière a besoin d’un regain de semblant de contrôle de sa distribution en ligne, et un débat sain entre hôteliers engagés en fait bien évidemment parti !
Skye LEGON
Co-fondateur de BookBedder.com basé à Lausanne en Suisse skye chez bookbedder.com
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