La décision booking.com du 21 avril 2015 : une tentative de regulation de l’autorité de concurrence du net peu claire, par Maître Pauline Le More
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Saisie à l’origine par les principaux syndicats professionnels hôteliers français et le groupe ACCOR, d’une plainte sur les pratiques tarifaires de la société Booking.com, l’Autorité de la concurrence française a opté pour une procédure dite « négociée » qui lui permet de clore plus rapidement ses investigations, tout en faisant l’économie de la qualification juridique toujours délicate des pratiques en cause. Concrètement, cela signifie que les victimes de pratiques concurrentielles ne peuvent se prévaloir de cette décision d’engagements pour prouver la pratique anticoncurrentielle de Booking.com dans le cadre d’une action en dommages et intérêts devant les tribunaux français. Dans sa décision n°15-D-06 du 21 avril 2015, l’Autorité de la concurrence impose seulement un certain nombre d’engagements « proposés » par BOOKING.COM pour répondre aux « préoccupations de concurrence », signalées par les plaignants, et ce afin d’insuffler davantage de concurrence entre, d’une part, les hôteliers et Booking.com, et d’autre part, entre les autres agences de voyages en ligne, dites OTA pour Online Travel Agency, et Booking.com.
En contrepartie de l’absence de sanction pécuniaire, susceptible de s’élever à un montant maximum de 10% du chiffre d’affaires mondial hors taxes du groupe Priceline, auquel la société Booking.com appartient, cette dernière s’est engagée à mettre en œuvre les principales mesures suivantes.
Aux termes de la décision, Booking.com s’est engagée, entre autres, à :
- Supprimer les obligations de parité tarifaire à l’égard des autres plateformes. ;
- Supprimer la clause de parité tarifaire à l’égard des autres canaux hors ligne des hôtels ainsi que pour les programmes de fidélité. Or à ce jour, si 66% des réservations sont effectuées hors ligne selon Phocuswright Europe citée par l’Autorité, la quasi-totalité de la clientèle recherche son hôtel via internet et la réservation en ligne connaît une croissance forte ;
- Supprimer la clause paritaire de conditions, permettant ainsi aux hôteliers de proposer via leurs propres ou d’autres canaux de distribution hors ligne des conditions plus avantageuses que celles proposées par booking.com
- Laisser libre les hôteliers de gérer leurs capacités et disponibilité de nuitées accordées aux offres booking.com par rapport aux autres offres et de recontacter les clients antérieurs au moins une fois.
En pratique toutefois et compte tenu des pouvoirs de négociation de chacune des parties, il est improbable que l’hôtelier puisse proposer des tarifs plus bas aux autres plateformes de réservation en ligne sans représailles de la part du principal acteur du marché, ce qui conduira inévitablement à un nivellement par le bas des tarifs. Il dispose d’une marge de manœuvre limitée, ce qui confère un caractère théorique à cette liberté tarifaire promue par l’autorité française.
Pour contrôler le respect de ces engagements, l’Autorité de la concurrence n’a pas fait le choix de recourir à un expert indépendant, mais a proposé que lui soit soumis un rapport « contradictoire » élaboré par Booking.com sur l’« efficacité » des engagements ainsi souscrits. Les plaignants pourront alors émettre leurs observations sur ce rapport. La violation ou l’inexécution des engagements peut, conformément à l’article L. 464-3 du code de commerce, être sanctionnée par une amende dont le montant maximum est de 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxe de l’entreprise concernée. La décision du n°15-D-06 du 21 avril 2015 peut, dans le délai d’un mois à compter de sa notification, faire l’objet d’un recours en annulation ou en réformation de la part du saisissant ou du ministre de l’économie devant la cour d’appel de Paris.
Cette décision, non encore définitive, s’inscrit d’ores et déjà dans le cadre de plusieurs investigations menées à l’échelle européenne. L’autorité de la concurrence française se targue de son travail de coordination avec les autorités suédoise et italienne, lesquelles ont respectivement émis deux décisions d’engagements comparables à celle française les 15 et 21 avril 2015. On note cependant que l’autorité de concurrence suédoise a également imposé des sanctions pécuniaires à Booking.com.
Aucune coordination ne semble néanmoins de mise avec les autorités de concurrence du Royaume-Uni et allemande, qui ont été pourtant les premières à investiguer sur ces marchés. La première a ré-ouvert son enquête suite à l’infirmation de sa décision d’engagements du 31 janvier 2014 par la Cour d’appel anglaise (Competition Appeal Tribunal) du 26 septembre 2014. Quant à l’Allemagne, elle vient de notifier ses griefs contre les clauses tarifaires de Booking.com le 2 avril 2015, ouvrant ainsi la voie à une procédure non pas « négociée », mais contentieuse.
Parallèlement, la nouvelle Commissaire chargée de la politique de concurrence, Mme Margrethe Vestager a annoncé le 26 mars 2015 une proposition visant à lancer prochainement une enquête sur la concurrence dans le secteur du commerce électronique. La commission souhaite lutter contre les pratiques de certaines entreprises consistant à restreindre le commerce électronique transfrontalier. L’enquête sectorielle permettra de mieux identifier ces mesures et de les combattre plus efficacement, suivant ainsi les priorités de la Commission visant à créer un marché unique numérique connecté. Devraient être particulièrement scrutées les accords de distribution verticaux entre fournisseurs et distributeurs en ligne, ainsi que certaines pratiques pouvant également violer le droit de la concurrence si l’entreprise en cause est en position dominante sur certains segments de marché. L’enquête sectorielle d’une durée en principe d’un an, pourrait conduire à l’envoi de questionnaires détaillés aux entreprises impliquées dans le commerce électronique ainsi qu’à des inspections surprises.
L’Europe n’a pas dit son dernier mot dans la bataille du numérique, mais elle reste décidément à construire !
Article fourni gracieusement par Me Pauline LE MORE, LeMore Avocat
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