Blockchain pour contrer Booking ? Une imposture flagrante !

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On ne cesse d’entendre parler de blockchain pour aller contrer les Booking & Expedia. En grande pompe un tandem vient de lancer une levée de 50 millions de jetons (une ICO en jargon blockchain pour Initial Coin Offering) et accessoirement 20 millions d’euros.
Lancement de la prévente du BTU Protocol
Toutes les rédactions, dont TH, ont reçu un communiqué de presse et un dossier de presse où on entend parler de blockchain, de disruption, d’open source.. pour aller combattre le monopole [1] des très vilaines agences de type Booking.com.
Autant de mots clés ronflants en un seul document, ça ressemble à la R21 custom (presque) bleu Alpine de Tonton Jean-Claude
L’un des deux fondateurs étant diplômé de Centrale Paris, ce projet est forcément topissime et les articles dithyrambiques. C’est con mais le fait de lancer un truc alors qu’on a fait Polytechnique ou Centrale donne une chance infiniment plus grande de lever des fonds que si on est juste intelligent mais sans avoir fait ce type d’école. Et si le projet se casse la figure c’est la faute à pas de chance, au marché, aux autres, mais pas à l’idée. Vous comprenez, c’est pas possible qu’un centralien fasse une chose bête car on lui a répété depuis des années qu’il était l’élite [2] !
En quoi consiste le projet ?
Ces braves gens ont trouvé que dans le monde de la réservation de voyage, il fallait séparer les deux volets que sont
- d’une part la disponibilité
- d’autre part les utilisateurs
Si on interroge les professionnels du tourisme et même les clients, eux parleraient de marketing
Au delà de légèrement tordre le bras des hôtels pour avoir de l’inventaire, n’est ce pas le MAR-KE-TING qui fait des OTAs des champions de la vente en ligne de chambre d’hôtel ?
Chuuuut, c’est secondaire !
C’est quoi la blockchain ?
On peut énumérer plein de définitions de la blockchain, néanmoins celle de Wikipedia n’est pas trop mal :
Une (ou un) blockchain, ou chaîne de blocs, est une technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe de contrôle. Techniquement, il s’agit d’une base de données distribuée dont les informations envoyées par les utilisateurs et les liens internes à la base sont vérifiés et groupés à intervalles de temps réguliers en blocs, l’ensemble étant sécurisé par cryptographie, et formant ainsi une chaîne. Par extension, une chaîne de blocs est une base de données distribuée qui gère une liste d’enregistrements protégés contre la falsification ou la modification par les nœuds de stockage. Une blockchain est donc un registre distribué et sécurisé de toutes les transactions effectuées depuis le démarrage du système réparti
En fait, si on met de côté les aspects écologiquement désastreux [3] de la blockchain, la blockchain gère plutôt bien des choses dont on a besoin d’horodater et tracer chaque évènement ou transaction :
- gérer une unité d’une monnaie, par exemple un BitCoin ou une des centaines d’autres cryptomonnaies
- gérer des données statiques, par exemple d’identité comme l’a récemment fait l’Office de Tourisme du Canada : le voyageur a ses données stockées dans la blockchain et le service de l’immigration va juste questionner la blockchain pour valider l’identité de la personne physique demandant à entrer au Canada
- autre type de données à stocker, horodater et tracer
L’absence d’autorité centrale pour garantir la preuve et la traçabilité sont les piliers de la blockchain
Dès lors qu’il faut garantir la traçabilité d’une transaction ou d’un évènement, la blockchain est championne. Pour « truander » le système, il faudrait à la même milliseconde (ou même encore moins d’ailleurs) modifier la donnée sur tous les serveurs impliqués et imbriqués dans le processus de certification : hacker 2 serveurs en même temps c’est simple pour certains, hacker des dizaines ou centaines de serveur au même instant et sans se faire pécho est légèrement plus compliqué que de l’écrire. Ben oui, les gens qui ont créé la blockchain sont issus du monde des hackers alors pensez bien qu’ils ont eux aussi... pensé à ça.
Dans le monde d’avant, une autorité centrale est garante de la sécurité de la transaction :
- d’une part c’est plus facile de hacker un système que des dizaines en simultané
- d’autre part cette autorité centrale dépend d’un pouvoir politique ou économique (banques, grandes entreprises...)
La décentralisation du pouvoir appliquée à l’Internet, voici comment certains décrivent la blockchain.
Mais alors, ça n’est pas vraiment adapté à gérer un inventaire d’hôtel ?
Qu’est qu’on en a à foutre de savoir que la chambre standard n°1 du 12 janvier a transité par telle ou telle plateforme avant d’être réservée par Jean Dupont ?
Ce dont ces braves gens n’ont sans doute pas vraiment pris conscience, c’est que l’inventaire :
- est multi-dimensionnel :
- plan tarifaire qui définit les conditions de la transaction (early booking par exemple), conditions d’annulation, conditions de paiement, MLoS, etc...
- catégories d’unités (chambre standard, chambre familiale, etc...)
- nombre d’unités disponibles pour ce plan et ce type,
- valeur de prix de chaque unité disponible par type/famille et par plan
- est fluctuant
- évolue avec des ventes, des annulations, sans oublier l’hôtelier qui peut lui aussi jouer sur variation de stock par canal et par type d’unité
- le yield devenant automatisé, les prix varient en temps réel comme à la bourse en fonction de tout type d’évènement ⟹ imaginez la cacophonie pour mettre à jour tous les plans tarifaires en temps réel
- sans oublier qu’il est périssable
Par le passé on a déjà expérimenté la cacophonie de l’explosion des demandes entre systèmes informatiques à un instant T et c’est un phénomène qu’on appelle le « bursting » : un ratio de plusieurs centaines de milliers de requêtes pour une seule transaction, qui en plus peut être annulée ! C’est d’ailleurs de phénomène qui a poussé Booking.com à imposer un mode de fonctionnement en disposant sur ses propres serveurs d’un morceau du stock central, ce que les CRS classiques ne savaient pas gérer et d’où sont sont nés les disrupteurs des CRS, les fameux channel manager ! Les autres dont Expedia y sont venus à posteriori.
A chaque mouvement du yield automatisé, on demanderait donc à la blockchain de procéder à des mises à jour : encore une fois, on se fout de savoir si la modification a été faite à 23h12m14s, ce qui compte c’est que le prix affiché au client à cet instant soit le bon... La blockchain est déjà connue pour être une hérésie environnementale, mais là c’est le pompon.
Compte tenu de ces éléments de temps réel, le vrai stock intégral est forcément centralisé et ne peut par définition être décentralisé (souvenez-vous, la décentralisation c’est LA raison de vivre de la blockchain). Seules des portions de ce stock peuvent l’être et dans ce cas ces portions d’inventaire sont mises à disposition des intermédiaires susceptibles de les vendre en tout ou partie.
Oui mais on va fournir un « Kit de disruption »
Waouh ! Dire qu’on a attendu ces braves gens pour y penser !
Le problème du monopole des OTAs n’est pas du au fait que le stock n’est pas accessible. Aussi bizarre que ça puisse paraître, le monde du voyage a été le premier à utiliser des systèmes centraux de réservation (1965 pour le 1er CRS par IHG). Dans l’hôtellerie sont apparus les « channel managers » destinés à gérer les portions de stocks délocalisés chez les OTAs.
Et bizarrement, les channel managers ont tous des dizaines de connectivités, ont tous des API, on tous des spécifications disponibles et sont tous techniquement accessibles aux développeurs. Certes, on pourrait faire en sorte de réduire le temps de mise en production si les APIs étaient ouvertes et surtout dans un format standardisé (par exemple ce qu’HTNG a petit-à-petit mis en place depuis 2002), néanmoins les choses se sont sérieusement améliorées depuis quelques années.
Le duopole actuel ne l’est devenu que par la concentration du secteur :
- acquisition de toutes les OTAs du marché - voir la partie « retour en arrière » de l’article 2016 une année comme les autres, en attendant 2017
- faillite & disparition pour certaines
Le problème des gens qui ont un site web et voudraient générer des commissions, c’est que les OTAs ont une force de frappe impressionnante en marketing mais surtout en technologie/ergonomie sur la partie visible (par le client) de l’iceberg : chez Booking, les pages de résa font l’objet de dizaines ou centaines d’améliorations chaque jour, chaque semaine, chaque mois... Quel petit webmaster aura la capacité à réaliser ces micro-tests un par un puis à les mettre en production ?
A quoi pourrait servir la blockain dans le domaine de la résa en ligne ?
La gestion de ce qu’on appelle le PNR (Personal Name Record) ou dossier de réservation pourrait être géré par la blockchain. En fin de là à gagner des millions avec ça...
Le paiement pourrait l’être : l’hôtellerie a fait le choix de la tockenisation des données de carte de paiement des clients, néanmoins d’autres modèles pourraient être mis en place, tout particulièrement une fois que les virements en zone SEPA seront (enfin) instantanés.
En réfléchissant, on pourrait trouver d’autres utilisations sans qu’aucune ne génère un volume de revenus qui permette à ses créateurs de devenir millionnaires : il faut appeler un chat un chat et les créateurs de startup ont tous un Jeff Bezos ou un Mark Zuckerberg à l’esprit
Bon alors ce projet ?
A part rendre riche ses fondateurs (lors de la levée NDLR), le pourcentage de chance de réussite est faible. Quant à celui d’avoir un marché...
Conclusion
Le monde des startups a bien changé : auparavant on avait uniquement des gens qui avaient des idées, qui bossaient comme des esclaves, qui géraient la croissance comme ils pouvaient à l’image d’un Jeff Bezos [4]. Aujourd’hui le monde des startups est l’Eldorado moderne : n’importe qui prend sa pioche et filtre le sable à la recherche d’une pépite, peu importe ses compétences et ses capacités. On ne cesse d’entendre parler de levées astronomiques et de valorisation démentielles pour des projets sans intérêt, enfin disons plutôt sans rentabilité possible même en ayant des dizaines de millions de clients. Si Uber ne parvient pas à gagner de l’argent sur des marchés où il a le monopole, c’est peut être tout simplement parce que le marché ne peut pas financièrement supporter un intermédiaire de plus, tout particulièrement s’il est très gourmand !
Le monde du voyage a besoin de disruption. Si disruption il y a, ce sera forcément par le levier du client, pas par le levier de la gestion du stock. Si les OTAs innovent à tout va et achètent régulièrement des startups, c’est pour fluidifier le parcours client, pas pour gérer des problématiques pas si problématiques que ça d’inventaire.
[1] Pour être exact il faudrait parler de duopole
[2] Plein de gens ont fait de grandes écoles et n’en font pas l’étalage. A contrario, des tas de gens brillants n’ont pas fait Centrale.
[3] Lisez cet article Comment le Bitcoin est devenu un enfer énergétique…
[4] On peut critiquer plein de choses à propos d’Amazon ou de Jeff Bezos, néanmoins ses débuts ont été marqués par le travail, le travail et le travail
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