Le brandjacking, racket légal à la marque

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Maintenant que les hôteliers ont enfin pris conscience de l’existence du brandjacking, trop peu en ont compris la portée et surtout à avoir mis en place la protection de leur marque, au minimum dans leur propre pays.
On imagine déjà la réponse type : "Ben oui mais mon hôtel est l’Hôtel de la Gare au Touquet" (ne cherchez pas, il n’y a pas de gare au Touquet). Et alors ? Protéger sa marque est aujourd’hui indispensable dès que vient le moment de la contestation de son utilisation par des tiers. Pour faire un parallèle, se plaindre de l’abus d’utilisation d’une marque sur laquelle on ne dispose d’aucun titre légal, c’est comme porter plainte pour usurpation d’identité sans apporter aucune preuve de sa propre identité...
Déposer sa marque
Protéger sa marque sur son propre "territoire" et/ou à l’international est aujourd’hui une procédure qui est largement documentée sur Internet et pour lesquels il existe également de très nombreux juristes et avocats dans chaque pays. Suivant le pays où est basé l’hôtel, voici quelques uns des organismes francophones à partir desquels une protection nationale ainsi qu’une protection internationale peuvent être initiées :
- en France, l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle)
- au Benelux, l’OBPI (L’Office Benelux de la Propriété intellectuelle)
- en Suisse, l’IGE-IPI (Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle)
- au Canada, l’OPIC (Office de la propriété intellectuelle du Canada)
- en Tunisie, l’INNORPI (Institut National de la Normalisation et de la Propriété Industrielle)
- au Maroc, l’OMPIC (Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale)
- en Algérie, l’INAPI (Institut National Algérien de la Propriété Industrielle)
- etc...
Quelques centaines d’euros pour protéger un fonds de commerce dont la valeur se compte en centaines de milliers ou en millions d’euros paraît dérisoire, et pourtant...
Qu’en dit la Ministre française déléguée à l’économie numérique ?
Lors de la convocation de Sylvia Pinel et Fleur Pellerin par l’UMIH le 22 octobre 2013 à l’Hôtel Abaca Messidor, accessoirement Quality Hôtel Abaca Messidor comme le dicte en principe le contrat de marque passé entre Choice Hôtels et l’hôtel, TH a simplement demandé le point de vue de la ministre déléguée à l’économie numérique, Fleur Pellerin, à propos de l’utilisation abusive de la marque des hôtels sur Internet et du rôle clé de Google, et la réponse a été brève : "Ce n’est pas moral, mais ce n’est pas interdit. On ne peut rien faire". Au moins les choses sont claires, à savoir qu’il ne faut pas s’attendre à un soutien manifeste du gouvernement français sur ce point de "détail".
Le socle juridique européen
La Directive Européenne 89/104 a posé les bases de la définition de la marque à l’échelle européenne : "La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires".
Depuis le temps que le brandjacking hôtelier existe, on ne va pas tarder à voir la forclusion s’appliquer dans de futurs jugements... Voici ce que dit la directive de la forclusion par tolérance "Le titulaire d’une marque antérieure telle que visée à l’article 4 paragraphe 2, qui a toléré, dans un État membre, l’usage d’une marque postérieure enregistrée dans cet État membre pendant une période de cinq années consécutives en connaissance de cet usage, ne peut plus demander la nullité ni s’opposer à l’usage de la marque postérieure sur la base de cette marque antérieure pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, à moins que le dépôt de la marque postérieure n’ait été effectué de mauvaise foi.".
La jurisprudence européenne et son application en France
Depuis quelques années la jurisprudence européenne a permis de déterminer des règles qui a défaut d’être morales sont déjà le premier rempart de protection. Dans ce cadre, les moteurs de recherche, Google en tête, se sont vus exonérés de responsabilité dans la mesure où le lien payant était clairement identifiable comme étant un lien PUBLICITAIRE. Le fondement légal de la jurisprudence de Cour de justice de l’Union Européenne Grande chambre Arrêt du 23 mars 2010 des affaires C-236/08 à C-238/08 Google France SARL et Google Inc. contre Louis Vuitton malletier SA e.a. retient de Google "son comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données qu’il stocke"
Sur le fondement de cette directive et de cette jurisprudence européennes, la jurisprudence française s’est alors penchée sur le cas de l’annonceur, celui ou celle qui utilise la marque d’un(e) autre en se fondant notamment sur l’élément déterminant du critère de risque de confusion ainsi que la concurrence déloyale ou le parasitisme. La jurisprudence française a cherché à concilier les intérêts des parties, mais également à protéger le consommateur de l’annonceur indélicat. Voici la plus récente jurisprudence française de la Cour de Cassation avec l’arrêt 11-21.011 du 29 janvier 2013.
La jurisprudence a choisi le raccourci qui consiste à exonérer le tiers qui a rendu la tricherie possible et se contente d’incriminer le tricheur. La jurisprudence a donc placé Google dans un rôle d’arbitre technique, enfin un arbitre un peu spécial car imaginez un sport où l’arbitre serait payé au nombre de buts/paniers/essais/points/etc ! Il sera alors naturel que l’arbitre laisse passer des fautes car les pénaliser le pénaliserait également financièrement... Un arbitre filou irait même jusqu’à suggérer la faute !
Dans la vraie vie, quand on utilise la marque ou le logo d’un autre, c’est d’une part en obtenant son accord pour une période donnée et d’autre part en lui versant une redevance dont le montant est contractuel.
Mais sur Internet, il n’est donc pas immoral de vendre sans droit ni titre la marque d’un tiers, ni surtout de ne pas partager les revenus. Quand on parle de moraliser Internet, voici un sujet fort intéressant... Et si on arrêtait tout simplement de considérer Internet comme un paradis hippie baba-cool où tout le monde est beau et gentil en y mettant en place quelques règles de bon sens ?
Le brandjacking autorisé
En signant un contrat autorisant une OTA à réaliser des campagnes publicitaires et marketing sur sa propre marque, l’hôtelier a ouvert la porte au brandjacking autorisé. Par extension du contrat, le brandjacking est autorisé à tous les affiliés de l’OTA, du blog de pêche au portail de réservation. On pourrait bien évidemment discuter de la dilution de la marque quand elle est diffusée sur une myriade de sites Internet dont l’hôtel n’a même pas connaissance ni encore moins le pouvoir de les autoriser ou non, mais ce n’est pas l’objet de l’article.
Facile à critiquer direz-vous... Il n’empêche que des hôteliers indépendants ont entrepris avec succès et surtout énormément de patience de bloquer l’achat de référencement payant sur leur propre marque. Pour cela, ils ont préalablement déposé leur marque auprès de leur organisme d’état, puis se sont engagés sur un chemin long qui consiste d’une part à demander aux OTAs de cesser cette pratique mais également à Google.
Google répond systématiquement que ce n’est pas possible alors que des formulaires existent sur son site. Après plusieurs tentatives répétées et surtout plusieurs mois, la phase Google permet de faire supprimer des campagnes existantes, mais ne permettra pas pour autant de bloquer de futures campagnes.
Côté OTAs on ne peut pas non plus parler de volonté de répondre rapidement à l’hôtelier "rebelle". Grâce à un cocktail composé à la fois de fermeté et de patience, certains hôtels nous ont rapporté avoir réussi à faire supprimer les liens commerciaux sur leur propre marque. L’impact peut être lourd de conséquences financières avec une chute instantanée du volume de réservation venant par cet OTA (compensable par d’autres canaux si les choses ont été correctement anticipées), chute que l’on peut attribuer à deux causes concomitantes :
- moins de clients cherchant spécifiquement l’hôtel passent par cet OTA, ce qui redistribue le trafic sur les liens "naturels" de la page dont celui de l’hôtel
- l’hôtel perd la côte chez l’OTA, tout particulièrement dans une zone très concurrentielle. Moins visible sur des requêtes généralistes sur cet OTA, il est logique qu’il y soit moins réservé...
C’est donc à l’hôtelier de savoir prendre ses responsabilités et de ne pas se jeter dans le bain sans s’être assuré d’être au minimum trouvable sur une requête sur sa propre marque.
Le brandjacking qu’on a laissé faire
En complément des liens autorisés par un contrat passé en bonne et due forme entre l’hôtelier et l’OTA, il ne manque pas de sites internet qui achètent la marque de l’hôtel sans pour autant avoir de contrat direct avec l’hôtel et sans que ces sites ne présentent non plus le statut d’affilié d’un OTA. On peut citer sans se tromper :
les comparateurs de prix : Trivago, HotelsCombined, Kayak, Hipmunk, TripBase, Wego, Easyvoyage... Ce sont des sites qui vendent aux OTAs des espaces publicitaires et se rémunèrent eux aussi au clic
les sites UGC : TripAdvisor, HolidayCheck, Oyster ... qui eux aussi se mettent à la mode compateur
des sites hybrides comme TvTrip qui se rémunèrent soit auprès de l’hôtel en diffusant leurs vidéos, soit auprès des OTAs en cédant à la mode du métamoteur
Certains hôtels voient également leurs concurrents directs utiliser leur marque, mais ce phénomène est cependant beaucoup moins fréquent.
Quand l’hôtel n’a strictement aucun lien juridique avec un métamoteur ou un site UGC, on se demande de quel droit ce site achète le mot clé "marque".
En tous les cas, le risque de confusion du client ainsi que la concurrence déloyale sont des éléments qui devraient au cas par cas pouvoir se démontrer.
Quand TripAdvisor classe l’hôtel Fabric 5ème hôtel de Paris et en même temps achète la marque de l’hôtel, on peut se rendre compte de la mécanique bien huilée du système TripAdvisor : le client qui interroge sur une date est aspiré dans le tuba de la tornade et recraché chez un OTA de manière moins aléatoire qu’il n’y paraît, les OTAs étant quasiment toujours mieux classé que l’hôtel en direct car EUX génèrent beaucoup plus de volume que l’hôtel seul. Ben voyons !
Idem chez Trivago avec le Marivaux à Bruxelles :
Les parasites
Le parasite Hotel-rez que nous dénoncions dans notre article Le piratage de marques & le détournement de clients sur Internet coûtent 2,2 milliards de dollars aux hôtels de mai 2011 continue de sévir : ici avec le Louisa’s Place à Berlin (dernier lien)
Ou le même hôtel qu’en 2011 avec le First Euroflat Hôtel Bruxelles : le lien vers Hotel-Rez est le 2ème, tellement réaliste qu’on se croirait en relation directe avec l’hôtel avec un domaine euroflat-hotel-brussels.com qui bluffe parfaitement le néophyte :
Avec un site qu’un quidam pourrait facilement prendre pour celui de l’hôtel, Hotel-Rez détourne des clients de manière totalement déloyale. Il faut un oeil aguerri pour se rendre compte que les numéros de téléphone d’un hôtel belge sont en +1 ou en +44... Le second élément qui peut attirer des interrogations est le texte "Hotel Reservation Network" en haut à droite. Si on y prête pas attention, on pense avoir réservé en direct mais que nenni !
Conclusion
Plus que jamais il est primordial de protéger sa marque au strict minimum dans son pays. Quand l’hôtel ne fait strictement aucun effort de marketing, empêcher les OTAs d’acheter le mot clé "marque" est donc un acte suicidaire qui consiste à se faire diluer dans la masse sans pour autant avoir mis les moyens de recruter autrement des clients. La reconquête de sa marque est avant tout la reconquête de son commercial et de son marketing : un bon produit, un ou plusieurs bons sites Internet, une gestion fine et forte de sa e-réputation (qui ne se résume pas à TripAdvisor même si ON le dit, loin de là), une gestion moderne de sa relation client...
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