La profonde mutation des chaînes hôtelières demande un soupçon de recul
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Le bashing ambiant anti-chaîne fait tourner en boucle les disques rayés « les chaînes n’apportent plus de client » ou « les chaînes coûtent plus qu’elles ne rapportent ». Si on regarde avec des jumelles des années 70, à la belle époque du formica, du vinyle et des pattes d’eph, c’est certain qu’on va avoir du mal à comparer l’apport des chaînes à l’époque versus aujourd’hui. Depuis Jean-Loup Chrétien est allé dans l’espace, en est revenu, et un outil qu’on appelle communément « Internet » a quelque peu changé les ordres établis.
Performances commerciales
C’est une évidence que les performances commerciales des chaînes ont décliné sur les segments loisirs.
Sur les segments corporate ou MICE, les choses sont parfois plus nuancées : tout dépend de la localisation de l’établissement, de sa capacité à héberger des évènements, de la présence locale de grands comptes corporate, etc….
Les différents modèles
On peut distinguer :
- les chaînes propriétaires de leurs murs et fonds
- les chaînes propriétaires de leurs fonds
- les chaînes qui proposent un contrat de management
- les chaînes qui proposent un contrat de franchise
- les chaînes auxquelles on adhère
- les chaînes associatives
- les chaînes coopératives
- les chaînes qui imposent tout un certain nombre de règles allant du nombre de sprinklers ou la couleur de la moquette à la pose d’une enseigne en passant par les outils technologiques
- des chaînes qui imposent peu de choses à part boire un coup de temps en temps
- ...
Que l’on regroupe systématiquement en :
- chaînes intégrées
- chaînes volontaires
Ce qui paraît plus que simpliste pour peu qu’on prenne un peu de recul...
Des grandes enseignes internationales aux petits groupements nationaux
Difficile de comparer les grandes chaînes comme Marriott, IHG, Hilton, Wyndham, Jin Jang International, Choice Hotels, Accor Hotels, etc… avec les groupements nationaux (plus vraiment pour certains) tels Logis, CHC, SEH, Contact Hôtel, Citotel et bien d’autres.
Parmi les plus grandes chaînes,
- certaines ne font que de la franchise,
- certaines possèdent tout ou partie de leurs murs,
- certaines ont un modèle coopératif,
- etc…
En France, on retrouve quelques établissements affiliés de grands chaînes, souvent en franchise ou en management, beaucoup d’hôtels Accor répartis entre des filiales et des franchisés, puis une multitude de petites chaînes dont certaines commencent à peine à se professionnaliser.
Les points communs entre grandes et petites marques
Au delà de l’enseigne sur la façade ou du logo à la porte d’entrée de l’établissement, puis plus récemment de l’interdiction de plus en plus systématique de la double appartenance, c’est la technologie qui a complètement pris le pas sur les 15 dernières années.
Les grandes chaînes ont été radicales avec leurs franchisés (pour leurs filiales c’est normal) :
- interdiction d’avoir son propre site web, y compris quand la chaîne était (le présent est toujours d’actualité pour certaines marques, dans une moindre mesure) carrément mauvaise sur la clientèle individuelle Internet
- obligation d’utiliser une liste d’outils technologiques sans possibilité d’y déroger
- obligation d’utiliser le CRS (outil central de réservation) maison même s’il date des années 70
- ...
Pour les chaînes non coopératives comme Golden Tulip ou Choice, la liste des outils imposés continue à s’imposer. Même les chaînes coopératives comme Best Western s’y sont mises :
- Golden Tulip a adopté les outils de Louvre Hotels. Louvre a été la première chaîne à adopter Opera en version cloud, et son brillantissime patron de la techno, une exception parmi les gens issus du sérail, avait eu raison à l’époque
- Choice a intégré SiteMinder à sa plateforme afin de permettre à une multitude de PMS de communiquer avec le CRS central. Voici une forme d’agilité encore trop rare. C’est un choix pragmatique que d’autres chaînes n’ont pas envisagé, tellement elles sont certaines de savoir ce qui est aussi bon à Bali qu’à Madrid. Pour une chaîne américaine, c’est un bel effort.
- Best Western a imposé une très courte liste de PMS à l’échelon mondial, sans tenir compte des spécificités régionales (régionales s’entendant au sens du continent). Malgré toute la bonne volonté des équipes françaises qui ont vraiment changé le visage (en bien) de BW France au cours des dernières années, on ne peut que s’interroger sur les choix technologiques pris dans un dans un état des Etats-Unis où on peut promener son Colt à la ceinture... comme au 19e siècle. Côté modernité et vision du monde, no comment...
Au niveau national, on a vu Logis faire développer à ReservIT des interfaces avec une longue liste de PMS, y compris certains qui ne connaissaient pas le mot « interface » (en principe c’est de l’humour mais sans certitude). On a vu SEH durcir sa politique technologique au fur et à mesure de ses investissements et de ses développements. Même Citotel s’est mis à développer des outils maison avec la partie distribution (booking engine & channel manager) mais aussi PMS.
La technologie est ce qui a permis à tous les grands noms du tourisme de venir de nulle part et de littéralement exploser. Il n’y a aujourd’hui pas d’autre choix que se technologiser. Quand la technologie (celle qui fonctionne vraiment et fonctionne simplement) sera devenue aussi banale que le fait de proposer du café au petit déjeuner, alors on pourra se re-concentrer sur d’autres aspects.
Est-ce une bonne idée pour une chaîne que d’uniformiser la technologie de son parc hôtelier ?
Non seulement c’est une bonne idée mais dans le contexte d’extrême pauvreté technologique et d’incapacité à innover des leaders technologiques du secteur, il n’y a pas vraiment d’autre choix.
Dans d’autres verticaux où la révolution de l’interopérabilité et de la standardisation a fait son effet, les choses peuvent être différentes : l’outil central a besoin d’échanger certaines données et peu importe qu’elles viennent de Pierre, Paul ou Jacques...
Comment en est-on arrivé là ?
Jusqu’à il y a une dizaine d’années, les « patrons » de la technologie dans les grandes chaînes étaient quasiment tous issus du sérail : en caricaturant à peine, des salariés d’hôtel à qui on avait un jour dit « tu sais bien te servir de l’ordi alors tu vas t’occuper de gérer le parc informatique » puis qui sont montés en grade sans quitter le sérail. Certains étaient excellents et le sont encore, mais pas tous.
Depuis moins de dix ans, quasiment toutes les grandes chaînes ont fait venir des gens de l’extérieur : des gens qui avaient de solides expériences à gérer des infrastructures complexes. Avec un peu de recul, on se rend compte que bon nombre de ces extérieurs ont été embauchés pour de mauvaises raisons : on attendait d’eux de réaliser des économies au lieu de leur donner les moyens de mettre en place la plateforme technologique du 21e siècle.
Un exemple de ces choix financiers : Marriott a récemment acquis Starwood dont le CRS était largement plus évolué que l’antédiluvien CRS de Marriott. Néanmoins pour des raisons strictement financières à court terme, Marriott a purement et simplement jeté à la poubelle le CRS de Starwood et a implémenté celui de Marriott dans les ex-Starwood. Et pourtant, à l’instar de ses petits copains qui font strictement la même chose, Marriott fait semblant d’être dans l’ère du temps en créant de nouveaux concepts : nouveaux espaces de réunion, nouvelles marques comme Moxy, etc... Si ça permet de récolter un Galactic Award of the World and the Century, alors tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes... Vive le management aveuglément court terme sur ce qui ne se voit pas !
Quand on compare ces braves chaînes hôtelières aux équipes hyper pointues d’un Booking ou d’un Expedia, les premiers vont à la chasse avec un arc quand les autres chassent avec viseur infrarouge, silencieux et balles à correcteur de trajectoire intégré. Le premier ne peut tuer qu’à 30 mètres grand maximum quand l’autre cartonne systématiquement à 300 mètres. Devinez qui chasse le plus de gibier ? Devinez qui se plaint le plus ? Et si les chaînes se mettaient à changer de matériel ?
La solution ne viendra pas d’une seule chaîne mais de toutes
Croire qu’une seule chaîne peut tout changer c’est comme jouer au loto : ça n’arrive qu’aux autres de gagner.
IHG nous a promis il y a déjà 2 ans qu’on allait voir LE truc du siècle avec son nouveau CRS qui devait remplacer en 2015 l’ancien qui datait de 1965. Son partenaire technologique sur ce coup là est Amadeus, une des sociétés les plus ouvertes du secteur. Pourtant on attend toujours de voir l’incroyable...
On a beaucoup moqué et critiqué l’initiative technologique de CitizenM qui reste bien seule et bien modeste face aux chaînes qui comptent des milliers d’hôtels. Et pourtant c’est CitizenM qui a raison sur son infrastructure technologique, tellement raison que certains fournisseurs du secteur ont décidé de s’en inspirer pour changer la donne, par exemple Protel avec sa nouvelle plateforme Protel i/o.
Oracle, propriétaire de Micros chèrement acquis en 2014 pour 5 milliards de dollars US, reste toujours leader du PMS tout particulièrement dans les grands groupes hôteliers. Si on veut changer la donne, il faut soit qu’Oracle change, soit que les grands groupes changent de fournisseur. Oracle a promis des changements, néanmoins on n’en verra les résultats que dans 5 à 10 ans tant le cycle du PMS est long dans un contexte où les directeurs financiers des grands groupes ont des oursins aux canines acérées dans les poches.
Les grandes chaînes ont toutes bougé et c’est un signe plus qu’encourageant. Côté fournisseurs de technologie, il y a des gros mouvements de fonds et les deux ou trois prochaines années vont enfin faire émerger de nouveaux produits qui rendront ringards bon nombre d’acteurs technologiques actuels. On est donc sur la bonne voie !
Le cas Accor
Les français passent pour des originaux et Accor ne déroge pas à la règle. En mettant sur la table un budget de 220 M€ pour sa révolution digitale dont une partie consommée à acheter des sociétés technologiques qui n’effraient pas grand monde pour peu qu’on regarde à l’échelon mondial, Accor ne peut manifestement rivaliser avec aucune société type Booking, Expedia, Airbnb ni même le hibou dont tout croit sauf le CA. Availpro + Fastbooking c’est 10.000 hôtels à la louche, à comparer aux 25.000 hôtels de SiteMinder ou 35.000 hôtels de Travelclick. Chez Fastbooking, c’est certain qu’après le départ de ses dirigeants remplacés par celui qui a conduit Availpro à cette extraordinaire performance (SIC), on va voir ce qu’on va voir. On en tremble déjà !
Côté PMS, Accor n’a jamais vraiment brillé avec son PMS maison et Oracle équipe un grand nombre de ses établissements.
L’acquisition de Gekko donne sur le papier un bel outil pour la partie corporate, pourtant ce qui a fait la fortune de Gekko est basé sur un modèle économique éculé, celui des bed banks. Le réveil va être douloureux...
En ouvrant sa plateforme AccorHotels aux hôtels indépendants, Accor s’est dit innovant. Sauf que la révolte gronde parmi les affiliés, ceux qu’Accor traitait déjà moins bien depuis des années en les faisant systématiquement passer après ses propres filiales : un hôtel indépendant qui ne paie qu’un pourcentage sur la résa a accès à la plateforme grand public AccorHotels, plateforme dans l’air du temps côté client reconnaissons le. En face les affiliés paient aussi ces réservations à la performance mais versent également une redevance sur l’intégralité de leur chiffre d’affaires annuel et se paient les obligations du groupe : enseigne, produits, CRM, etc...
Revenons-en au sujet : en quoi les chaînes qui franchisent peuvent-elles aider un hôtelier indépendant ?
Face à un monde qui se professionnalise, ces chaînes aident leurs adhérents à se professionnaliser, en leur apportant un support au quotidien, en leur apportant de la formation, en leur donnant accès à de la technologie, en leur inculquant des méthodes, en les faisant sortir de chez eux au moins une fois par an pour le congrès annuel...
Les meilleurs hôteliers peuvent bien évidemment s’en dispenser car ils ne sont pas dépendants des grands méchants OTAs : ils sont su développer leur propre commercial, leur propre site web, leur notoriété...
Pour l’immense majorité des autres hôteliers aux hôtels sans atout dans le peloton, pédaler seul rend le moindre pépin hyper dangereux ou fatal. Pédaler en équipe, c’est avoir un soutien logistique rapide au moindre pépin, mais c’est surtout bénéficier de toute une équipe pour se préparer à la course que l’on va courir en se soutenant entre membres de la même équipe...
Oui mais ça coûte des sous
Par définition une chaîne qui coûte peu ne pas pas apporter grand chose. Celles sans budget et donc avec du personnel restreint vont fatalement avoir du mal à fournir un vrai soutien logistique, même si les rares personnes présentes sont pleines de bonne volonté et très sympathiques.
A contrario une chaîne qui coûte une blinde ne va pas forcément être hyper efficace hormis celui de flatter son propre ego. Faire des mauvais choix et avoir un gros train de vie, par exemple faire tous les salons du monde, coûte une fortune qui se répercute sur l’adhérent/franchisé.
C’est donc entre les deux extrêmes que se trouve celle qui vous correspond.
Quels critères regarder ?
Pour se décider, ce n’est pas le responsable du développement qu’il faut écouter car c’est un COM-MER-CIAL que vous ne reverrez qu’une fois toutes les X années pour prolonger le contrat. Le reste du temps vous ramerez avec les autres équipes de la chaîne...
Ce qui paraît logique, c’est :
- de rencontrer les équipes opérationnelles : marketing, distribution, technologie...
- de se renseigner sur ce qui est autorisé ou non : avoir son propre site web, faire son propre commercial en local, faire son propre commercial MICE, de choisir sa déco et son architecte, etc...
- de se renseigner sur les outils technologiques imposés : quel CRS, quel channel manager, quel PMS, quels outils marketing
- de se renseigner sur la propriété du fichier client
- de se renseigner sur une éventuelle redevance
- de se renseigner sur les obligations en petite ligne dans le contrat
- de poser des questions à d’autres hôteliers de la chaîne : ne surtout pas appeler ceux que le COM-MER-CIAL va suggérer car ce sont à priori des hôteliers qui vont mettre 5 sur 5. Ce que vous devez trouver, ce sont les défauts de la chaîne, pas ses qualités dont le COM-MER-CIAL se charge déjà
- de se poser la question de savoir si l’identité visuelle de la chaîne peut correspondre
- d’utiliser en tant que client les outils marketing et site web de la chaîne
- de faire preuve de bon sens
Avant de se lancer
Si un hôtel est en attente de rénovation et surtout risque d’attendre encore quelques années, la chaîne ne va pas faire apparaître les clients comme si on était à Lourdes. Certes certaines chaînes comme Brithotel vont pouvoir aider en conseillant, en accompagnant dans une rénovation et en apportant un soutien pour parler aux banques, néanmoins la première décision c’est de tout faire pour donner à son entreprise une capacité de financement.
Dans le même esprit, considérer une chaîne comme un simple prestataire de service est une erreur monumentale. Adhérer à une chaîne, c’est être prêt à adopter ses méthodes, être prêt à se former, être prêt à écouter les suggestions, être prêt à accepter le marketing parfois invasif de la chaîne, etc...
Ecouter et appliquer les préceptes de la chaîne c’est bien, néanmoins il faut conserver de la vigilance et un esprit critique car le fonds de commerce reste la propriété de l’hôtelier : si l’hôtel coule, la chaîne va perdre un peu de CA, rien de plus. Si l’hôtel coule, le propriétaire du fonds va perdre beaucoup.
Conclusion
Une chaîne est un complément. Elle ne va pas remplir l’hôtel à 100%. Elle va simplement aider l’hôtelier à atteindre des objectifs qu’il n’atteignait pas seul.
« Oui mais ça sert à rien alors » peut-on entendre. Les meilleurs chaînes sont celles qui vont aider l’hôtel à maîtriser les OTAs, à augmenter la clientèle d’affaires, à augmenter ses standards de qualité, à augmenter le niveau de satisfaction de ses clients...
Pour défendre l’hôtelier, on aurait pu attendre que les syndicats fassent leur boulot. Entre le syndicat à la botte d’Accor et anti-tout-ce-qui-n’est-pas-mon-idée-à-moi-que-j’ai-eu et l’autre syndicat qui a enfin compris qu’il valait mieux se concentrer sur l’avenir que sur le passé, le chemin pour un syndicalisme avant-gardiste ET représentatif est encore long. Si leurs fonds de commerce n’était pas la fameuse réduction SACEM, ils seraient encore moins représentatifs qu’ils ne le sont !
Adhérer aujourd’hui à une chaîne hôtelière, c’est avant tout vouloir se professionnaliser, c’est vouloir se regrouper autrement que pour râler contre Booking ou Airbnb, c’est surtout vouloir anticiper...
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